Rav Oury Cherki
Ribach et Rachbatz - guerre et paix
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Nos maitres Ribach et Rachbatz sont arrivés à Alger à des dates différentes, peu après les événements meurtriers de 1391 en Espagne, lorsque de nombreux juifs quittèrent la péninsule ibérique pour échapper aux persécutions.
Ribach avait déjà connu une prestigieuse carrière rabbinique en Espagne où il avait dirigé plusieurs importantes communautés. Il était âgé de 35 ans de plus que Rachbatz, qui avait dirigé la communauté de Majorque et après en Aragon. Pensant bien faire, un des notables de la communauté obtint du roi d'Alger la nomination de Ribach comme seul juge des juifs d'Alger. Cette action était en fait révolutionnaire en termes de droit hébraïque pour deux raisons: c'était remettre en question l'autonomie des tribunaux rabbiniques en les faisant dépendre d'une autorité extérieure, en l'occurrence le roi d'Alger. De plus c'était contraire à la recommandation de nos Sages (Avot IV, 8): "ne juge pas seul, car seul l'Un juge seul". Rachbatz s'opposa vigoureusement à la nomination de Ribach avec force arguments développés dans son Tachbetz (vol. I responsa 158-162). Ce responsa est devenu un des textes classiques du droit hébraïque jusqu’à nos jours.
Cette controverse aurait pu dégénérer en discorde n'était-ce la grandeur d'âme de nos maitres. D'une part il semble que Ribach n'a pas usé de son droit accordé par le roi et qu'il associait toujours Rachbatz ou un autre sage à son tribunal (id. 162). Il a lui-même recommandé le Rachbatz a la communauté pour lui succéder de son vivant et a cessé à partir de là de légiférer. D'autre part Rachbatz n'a publié ses arguments qu'après le décès de Ribach. Dans un autre texte (I, 58) Rachbatz écrit: "quand à moi, j'étais poussé par le zèle du service divin, je me suis comporté avec l'impétuosité de la jeunesse et j'eu l'effronterie de m'opposer à un maitre grand en âge et en sagesse". Ribach note brièvement dans un de ses responsa (101): "après tout ce que m'a fait Rabbi Duran (=Rachbatz), j'aurais pu préférer réfuter son opinion plutôt que de la confirmer. Mais je ne saurais contredire la thora, car son opinion est juste et conforme à la loi".
Grande est la leçon de nos maitres, qui nous apprennent à associer l'amour de la vérité au respect du prochain.