Rav Oury Cherki
Sans rançon
Paracha Matot-Massé, Tammuz 5766
Les lois de la Thora ont souvent un arrière-plan historique significatif. Notre double paracha, Matot-Massé, offre un exemple éclatant de ce phénomène. Les lois concernant l’homicide sont un correctif exemplaire des lois de l’antiquité. Les lois d’Hammourabi, en vigueur chez les nations du temps où la Thora fut donnée, admettent que toute peine corporelle infligée pour un dommage peut être commuée en rançon. Par exemple, la loi du talion "œil pour œil" peut être remplacée par un paiement en argent, ce que la loi rabbinique rends d’ailleurs obligatoire. Mais alors que le code d’Hammourabi admet cette substitution même pour l’homicide, de sorte que l’assassin puisse toujours s’en sortir pourvu qu’il soit fortuné, la Thora s’y oppose avec véhémence: "Vous ne prendrez pas de rançon pour la vie de l’assassin qui est condamné à mort, car il doit être mis à mort" (Bamidbar 35,31). La gravité de l’assassinat est telle qu’il est moralement impensable de le considérer comme un simple dommage, mesurable en termes économiques. Il s’agit là d’une atteinte à une des plus grandes valeurs de la Thora, la vie.
Le problème moral se complique lorsque à la nécessité de la sanction sont mêlées des personnes qui ne sont en aucun cas coupables du crime. Par exemple, que faire si un assassin qui projette de porter atteinte à des dizaines de personnes, se sert d’un enfant comme d’un bouclier vivant, pour empêcher un sauveteur éventuel d’agir? De manière plus étendue, a-t-on le droit de porter atteinte à une collectivité ennemie sans juger de la responsabilité individuelle de celui que l’on combat? La tendance de la modernité est de décider en fonction de l’émotion immédiate, ("on ne tue pas un bébé") au détriment du bien collectif. L’assassin pourra alors sans difficulté échapper à la justice, et même réaliser son crime, entraînant plus de mal que celui qu’on voulait éviter. Il en est de même pour les guerres. Le moderne, héritier de la sensibilité chrétienne, ne se posera pas tellement la question de la validité morale d’ensemble de son combat, dont il juge prétentieux de trancher, mais il se demandera s’il est en mesure de soutenir la vue (la sienne ou celle des media) des actions que nécessite sa responsabilité morale. On comprend aisément les prolongements épineux qu’implique cette problématique. La conscience occidentale, formée à l’école bimillénaire du christianisme, considère que la justice et la moralité sont en vérité incompatibles, car il n’y a de moralité que la douceur.
Notre paracha est diamétralement en
opposition avec cette attitude. La condamnation des midianites, coupables
d’avoir débauché les enfants d’Israël pour les rendre vulnérables
au courroux de Dieu (31,16), est tout d’abord collective: "Attaque les
midianites" (25,16) et implique également des midianites qui n’avaient
rien fait (cf. 31,17). Tout ceci n’est compréhensible que si l’on considère
que la personne innocente emportée par la violence de l’action de la
justiceest une victime de l’immoralité de celui qu’il faut combattre,
même lorsque le coup a été porté par le défenseur de la morale. Cette
vision des choses, qui demande d’être habité d’une haute conscience
morale, est celle à laquelle nous invite la Thora, pour faire entendre une
parole de lucidité dans un monde à la recherche de la vérité.