Rav Oury Cherki
Les nuances de la conjugalité – la formation du couple dans la Genèse
Pardès, N° 66, 5781
AMOUR ET MONADES
Pour entamer une étude biblique sur la manière dont la conjugalité est envisagée par la Bible et en particulier dans le récit de la Genèse, je voudrais tout d’abord poser une question autour d’un élément de la doctrine du philosophe Gottfried Leibniz, philosophe allemand qui écrivait en français, auteur de la théorie des monades, selon laquelle le monde, aussi bien matériel que spirituel, est formé d’atomes. Les atomes dans le contexte de ce système, sont des éléments insécables. Pour Leibniz, non seulement le monde matériel est formé de tout petits éléments qu’il est impossible de diviser, mais il en est de même pour le monde spirituel. La conscience humaine, l’âme humaine serait ce qu’il appelle une monade. Il ajoute quelque chose d’extrêmement déprimant sur le plan existentiel, que « les monades n’ont pas de fenêtres ». Si on transpose cette idée dans le monde spirituel, ça veut dire qu’en fait chacun de nous est enfermé en lui-même. Je suis absolument incapable de fusionner avec un autre être. Je serai toujours moi-même et uniquement moi-même. On pressent ici l’idée de la subjectivité kantienne qui est que ce que je peux percevoir de l’extérieur n’est que ce que je peux en percevoir. Et donc, cela voudrait dire qu’en fait tout homme, toute conscience est condamnée de manière irréversible à la solitude éternelle. La solitude est terrible. Cela voudrait dire qu’en fait il n’y a pas vraiment de sens à ma vie, en dehors de mon être. Si cela est vrai, alors à quoi sert l’existence, si je suis incapable en fait d’unifier ma pensée, ma conscience, ma subjectivité avec celle d’un autre être ? Or, il y a dans la réalité existentielle une réfutation radicale de la pensée de Leibniz. Cette réfutation, c’est l’amour. L’amour est la preuve que l’on peut ouvrir un lieu d’échange entre deux consciences. C’est l’image de deux prisonniers qui sont chacun dans leur cellule, mais qui arrivent à communiquer par un petit trou qu’ils ont pratiqué dans le mur entre les deux. Après avoir longuement gratté avec une petite cuillère, ils ont réussi quand même à ouvrir un orifice, qui permet des contacts, des échanges. Chacun reste dans sa sphère, mais il y a malgré tout un contact avec une autre sphère. On pourrait dire que l’amour est la capacité d’intégrer en soi un univers autre que le sien, de trouver dans la personne que l’on aime une autre identité, avec laquelle on arrive à s’identifier.
Certes, il y a le danger de la fusion totale, qui est, soit suicidaire (je me fonds dans l’identité de l’autre), soit j’introduis l’autre dans mon univers, et donc c’est impérialiste, mais dans une situation saine, il s’établit une relation entre deux personnes qui restent chacune dans sa monade, mais qui est malgré tout capable d’entretenir une relation d’amour avec son prochain.
LE COUPLE COMME VALEUR
Or, l’amour est profondément développé dans le texte de la Torah quand il est question de la création du premier couple. C’est-à-dire que quand on parle d’amour, on parle tout d’abord d’une relation qui implique la conjugalité. C’est dire quelle est la force de la vie conjugale et sexuelle dans l’univers biblique. De ce point de vue là, on est à l’antipode de l’analyse chrétienne des textes, qui est que la sexualité serait le fruit d’une chute, d’une décadence. L’argument amené par la lecture chrétienne pour renforcer cette idée, c’est que nous voyons très bien que le récit de la relation conjugale du premier couple vient dans la Bible après le péché. Le premier homme dans le péché originel est d’abord renvoyé du jardin d’Eden, et alors seulement la Torah nous dit « veha-Adam yada et Hava ichto », « L’homme connut Ève sa femme ». Cela voudrait donc dire que c’est le péché qui a introduit la conjugalité. Mais Rashi fait remarquer que les mots « veha-Adam yada », est un passé antérieur, car contrairement à l’usage de l’hébreu biblique ou le sujet vient après le verbe, ici le sujet vient avant le verbe. Il faut donc lire : « Or l’homme avait connu », ce qui veut dire que c’est antérieur au péché. L’intention de Rashi est de réfuter la lecture chrétienne pour nous dire que la conjugalité est considérée comme primordiale, et donc comme sainteté, par la tradition. Et c’est pour cela que l’acte de mariage est appelé dans la tradition Kidoushin, « sanctification ».
Alors pourquoi ce récit du rapport conjugal est introduit dans la Torah après le péché ? La raison est très simple : c’est que, existentiellement parlant, depuis le péché, une gêne mêlée de pudeur accompagne l’acte conjugal, mais à l’origine c’est un acte de sainteté.
Il est remarquable (c’est le Midrash qui le relève) que la Torah, et donc la langue hébraïque, emploie le terme de Icha pour désigner la femme, et le mot Ich pour désigner l’homme. Or, Icha et Ich, sont un féminin et un masculin. En hébreu quand on veut mettre un mot au féminin, on lui rajoute un « a » : ich / icha. Cela nous semble peut-être banal, mais le Midrash souligne que l’hébreu est la seule langue au monde où le mot désignant l’humain au féminin est un féminin grammatical de l’humain au masculin. Dans toutes les autres langues, ce n’est pas le cas. Par exemple en français, vous dites au masculin « un homme », et pour parler d’un être féminin vous ne dites pas « hommesse » mais femme. De même en anglais, « man », vous ne dites pas « maness » mais « woman ». C’est seulement en hébreu qu’apparaît clairement cette idée qu’il y aurait une complémentarité entre le masculin et le féminin. Même dans les langues sémitiques ce n’est pas le cas : ni en arabe, ni en araméen, ni en acadien. Cela voudrait dire qu’il y aurait une conception particulière de complémentarité dans la relation homme et femme.
COMPLEXITÉ DU COUPLE
Une question se pose en soi, sans rapport avec la Torah : pourquoi est-ce si difficile de créer un couple ? Chez les chats et les chattes, les chiens et les chiennes, il n’y a pas de problème d’inhibition qui fait que les chats et les chiens auraient besoin d’un psychologue parce que le célibat s’est prolongé trop longtemps. Par contre, on constate chez les hommes une difficulté absolument incroyable dans ce domaine. Plus la société évolue, plus il est difficile de former un couple. À tel point que c’est devenu un thème classique de l’humour. Telle la question s’il y a une vie après le mariage, et la réponse : oui, mais c’est l’enfer. Si c’est tellement important l’amour, pourquoi est-ce tellement difficile ?
Une analyse du texte de la Torah nous explique qu’en fait c’est très simple : le couple humain est en fait formé de trois couples. La Torah emploie trois doublets de termes pour parler du couple. Le premier étant zakhar ou-nekeva, mâle et femme. Cette expression est employée aussi bien pour les animaux que pour les hommes, c’est-à-dire que la fonction primordiale de la reproduction qui se fait par un mâle et une femelle se retrouve également chez l’homme. C’est une évidence. Ce qu’il est intéressant de voir c’est qu’il y a dans le texte une bénédiction associée à cette reproduction, dans les deux cas, aussi bien pour la vie des animaux que pour les êtres humains. La Torah nous dit « Vayevarekh otam Elohim », « Et Dieu les a bénis », c’est l’aspect positif de la reproduction : surmonter la mort. Étant donné que nous sommes des êtres mortels, nous voulons quand même avoir un prolongement de notre personne à travers la reproduction. Et puis après, ça se complique parce qu’il y a un sommeil, accompagné d’une opération chirurgicale. La Torah nous parle de l’homme qui s’endort et que Dieu coupe en deux parties. Pour la traduction courante, le mot tséla’ signifierait une côte. Mais Rachi préfère l’interprétation qui dit que ce mot signifie un côté. Rachi tranche donc en faveur de la lecture selon laquelle l’homme aurait été coupé en deux parties égales : l’une qu’on appelle ich et l’autre qu’on appelle icha. C’est à partir de ce moment-là que tout devient extrêmement compliqué. Tout d’abord, le sommeil implique une perte de la conscience. Donc un homme androgyne, ayant subi une sorte d’opération chirurgicale (il va sans dire que tout ça ne se produit pas dans le monde physique mais dans le monde spirituel), se réveille en découvrant qu’il n’est plus une seule personne, un seul être, mais qu’il est deux êtres à la fois. C’est effrayant. Imaginez-vous : vous allez dormir, vous êtes seul, et puis vous vous retrouvez deux. Mais alors qui suis-je ? Suis-je l’un ou l’autre ? En fait, il semble que l’homme à ce moment-là du récit s’identifie avec les deux parties de son être. Il dit : « Zot hapaam etsem meatsamai oubassar mibessari », « voici que maintenant cette fois-ci je suis divisé en deux, un os de mes os, une chair de ma chair ». Et donc l’homme arrive à s’identifier comme étant devenu deux parties : une appelée etsem/l’os et l’autre qui sera appelée chair/bassar. Là apparaît déjà un début de différenciation entre deux éléments de l’être humain. Sans rentrer trop dans le détail, une analyse du texte de la Torah démontre que l’un des deux êtres n’est pas entièrement os et l’autre n’est pas entièrement chair. Mais que l’un est formé essentiellement d’os mais avec un peu de chair. Tandis que l’autre est majoritairement chair avec un peu d’os. Sans entrer dans l’analyse qui le prouve, il ressort que c’est l’homme, le masculin, qui est désigné du terme d’etsem/os, et le féminin qui est désigné du terme de bassar/chair. Les os donnent la structure, l’idée de stabilité, et la chair donne la sensibilité. On constate dès le départ une différenciation de la fonction masculine et de la fonction féminine dans l’être humain, et qu’il existe une complémentarité entre les deux éléments, c’est-à-dire que chacun retrouve en l’autre ce qui lui manque. Cela ne veut pas dire que les proportions ne peuvent pas s’inverser. Il y a effectivement parfois des hommes qui sont féminins et des femmes qui sont masculines. Il y a des déséquilibres des proportions entre le masculin et le féminin, entre l’os et la chair au sein de tout être (Platon en parle dans le Banquet), mais fondamentalement il y a une différence d’être. C’est comme si la Torah voulait nous dire que pour fonder un couple, il faut le créer à partir d’une différence d’être, et cette différence a un sens. Pour mieux comprendre cette différenciation, référons-nous à une autre formulation que l’on trouve dans le Talmud, qui est que l’homme aurait un avantage sur la femme au niveau de daat, c’est-à-dire la capacité d’intégrer une connaissance, ce qu’on appelle la stabilité. Dans le langage courant on dit de celui qui « sait ce qu’il veut » que c’est un homme, tandis que la femme aurait un avantage sur l’homme par la bina, l’entendement, l’intuition féminine. On peut dire que ce n’est pas totalement divisé. Cependant, il y a plus de daat chez l’homme et plus de bina chez la femme. Or la Mishna, dans le Traité d’Avot, nous dit : « s’il n’y a pas de daat il n’y a pas de bina, s’il n’y a pas de bina il n’y a pas de daat ». C’est la raison pour laquelle il est bon de se marier, pour unir bina et daat. Il y a un troisième élément qui est la capacité intellectuelle. Là il n’y a pas de différence entre l’homme et la femme, c’est ce que l’hébreu appelle ‘hokhma.
À ce moment-là, le nom de l’homme, ich-icha, sera donné par l’être humain lui-même : « Celle-ci sera appelée icha parce qu’elle est prise de ich ». Donc nous avons déjà une différence qui est perçue par l’intel-ligence humaine. Contrairement au premier doublet qui fait le couple, en tant que zakhar ou-nekeva qui est une fonction biologique qui est commune aux hommes et aux animaux, nous avons un deuxième doublet, ich et icha, le doublet intellectuel. L’homme est capable de constater qu’il y a à l’extérieur de son être un autre être. Seulement il y a problème au niveau du vocabulaire. Si vous entrez dans une maison, et que vous entendez que l’homme appelle son épouse « femme », et que l’homme dit à son mari « homme », vous vous dites qu’il y a un problème dans ce couple, il faut tout de suite consulter un psychologue. Or c’est précisément après cela qu’intervient le récit du péché. C’est là que pour la première fois la Torah nous parle d’une transgression de la volonté de Dieu par l’homme. C’est après que l’homme a accédé à la dimension intellectuelle qu’il est capable également de pécher. La raison est très simple : c’est parce qu’il n’y a pas de véritable dialogue entre l’homme et la femme, car ils n’ont pas de prénom. Si l’homme et la femme s’étaient parlé entre eux, ils n’auraient pas péché. Juste après le récit du péché, la Torah dit que pour la première fois : « L’homme nomma sa femme Ève. » C’est là la troisième relation : celle de personne à personne. C’est très difficile de discerner que l’on a à l’extérieur de soi une personne, et qu’elle aussi porte un nom. Un conseiller conjugal doit donc interroger les conjoints sur ce que chacun attend du couple. Il peut y avoir un des éléments du couple qui attend de la vie ensemble simplement la reproduction, d’autres qui attendraient le dialogue intellectuel et d’autres qui attendraient la relation de personne à personne. Nous avons soit zakhar/nekeva, soit ich/icha, soit Adam/Hava. On pourrait créer à partir de ça tout un tableau de relations possibles. Le calcul nous donne neuf types de relations possibles au sein du couple, ce qui pourrait devenir une théorie intéressante au niveau des conseils conjugaux.
DÉCADENCE DU COUPLE
Dans la suite du récit de la Torah, dans la description de la décadence de la civilisation issue de Caïn, il est question d’un individu du nom de Lémekh. La Torah dit : « Lémekh a pris deux femmes ». C’est la première fois qu’on entend parler de bigamie. Un homme vit avec deux femmes. C’est-à-dire qu’il y a une division de son amour. Il aime une femme, mais il en aime une autre. Pourquoi deux ? Si on envisage une approche utilitaire : une femme peut « servir » pour un homme à deux choses. Elle est belle, et elle est féconde. Or, dans certaines sociétés, on considère que la beauté et la fécondité sont antithétiques. Plus la femme a d’enfants, moins elle est belle. Comment régler le problème ? C’est très simple : avec deux femmes. Une femme sera belle, et donc emploiera un contraceptif pour ne pas avoir d’enfants, c’est celle qui est appelée Tsilla dans la Torah ; et l’autre sera féconde, c’est celle qui est appelée Adda dans la Torah. C’est le début de la décadence de la société humaine, incapable de réaliser l’unité entre la fécondité et l’amour. Cela explique peut-être un des problèmes de la société moderne dans ce qu’on appelle le célibat tardif qui souvent vient avec l’incapacité de voir une valeur primordiale dans la fécondité. Se crée alors une sorte de divorce entre l’éthique et l’esthétique. La relation de couple sera considérée uniquement sur le plan utilitaire. Or, au niveau de l’utilité, il y a soit la beauté et le plaisir associé à la beauté, et l’autre utilité qu’est la reproduction, mais il faut renoncer donc au plaisir et à la beauté. C’est là que s’introduit le sujet de notre colloque. Peut-on légitimer une dissociation entre l’amour et la fécondité ?
AMOUR ET PLAISIR
Là apparaît une des ambiguïtés de la société actuelle, qui est qu’on donne le nom d’amour à ce qui est la recherche du plaisir. Dans le plaisir, ou comme on dit aujourd’hui : le sexe, on peut découvrir que la sexualité est exactement l’inverse de l’amour. Dans le sexe, j’utilise l’autre pour accéder à mon plaisir. Tandis que dans l’amour, je me sers de mon plaisir pour donner de l’amour à l’autre. Tout le problème de savoir qui est favorable à qui. Sur le plan moral, ça va donner deux relations qui extérieurement ont l’air d’être tout à fait la même chose, mais en vérité sont tout à fait le contraire l’une de l’autre. L’une est une relation égoïste dans laquelle je suis au centre, tandis que dans la relation d’amour, c’est altruiste, c’est en faveur de l’autre que j’agis. Nous touchons là un point fondamental, c’est le problème de la valeur du présent par rapport à l’éternité. Si je donne la primauté à l’instant, au moment du plaisir, finalement tout va se concentrer sur moi-même, et c’est là où il y aura le maximum de plaisir que je vais investir le plus. Tandis que si ma finalité c’est l’éternité, j’introduis donc ici le passé et l’avenir, et non pas le présent, je serai donc idéaliste et donner la primauté à la fécondité. Non pas par volonté de reproduction à la manière du bétail, mais au contraire par souci de la vie. La Torah le dit très bien dans le livre de Berechit quand elle nous dit qu’un homme « doit quitter son père et sa mère pour se coller à sa femme et devenir une seule chair ». Si on prend ce verset littéralement, alors devenir une seule chair, est extrêmement dangereux et nécessite une intervention chirurgicale ! c’est pour cela que Rachi à la suite du Midrash dit : « Ils deviendront une seule chair » – par l’enfant. L’enfant qui va naître, la génération, c’est ça la chair unique qui est une réunion de ce qu’il y a en l’homme et la femme. On tente aujourd’hui la dissociation : il y a d’une part la nécessité de la reproduction, réduite à la joie « d’avoir » des enfants, comme si les enfants étaient un avoir au lieu d’un devoir, et pour cela on peut employer cette version moderne de l’exploitation esclavagiste que l’on appelle la mère porteuse, et d’autre part avoir une relation de couple qui serait la réalisation du plaisir de l’instant. Le texte de la Torah contient une critique implicite sur le plan moral de cette dissociation, étant donné qu’une des deux relations est égoïste et l’autre est altruiste. Or l’homme est un être unique.
MESSIANISME DE SODOME
Il est intéressant de voir que le problème de la relation homme-femme apparaît dans la Torah autour de l’épisode de Sodome. La ville de Sodome était coupable de deux transgressions de la volonté de Dieu : la première étant le refus de la charité qui était érigé en loi, et l’autre c’est le refus de la reproduction, puisque la Torah nous parle de l’homosexualité à Sodome. En fait, les deux sont liés. Sodome était une société économiquement parfaite dans laquelle il ne manquait de rien. C’est là que s’est formée l’idée qu’il peut y avoir une société idéale dans laquelle il ne manquerait de rien. C’est virtuellement la société messianique. Le messianisme davidique commence à Sodome, le Roi David descendant de Ruth la Moabite qui elle-même descend de Loth, qui résidait à Sodome. Les idéologues de Sodome auraient développé cette idée que dans une société idéale il n’y a plus de sens à la charité, et qu’il faut donc ériger en loi l’interdiction de faire la charité. Mais en principe, dans un monde parfait, il n’est plus nécessaire de se reproduire puisque nous sommes arrivés à l’humanité idéale, à l’achèvement du projet de l’homme. Cependant l’instinct sexuel, continuant son œuvre, est orienté vers le semblable au lieu d’être orienté vers le différent, envers ce qui peut amener la relation de fécondité qui s’occupe de l’avenir. C’est qu’à Sodome il n’y a pas de sens à l’avenir, il n’y a de sens que pour le présent, pour l’immédiat.
Il ressort de notre analyse que si la tradition halakhique et la Torah condamnent l’homosexualité, ce n’est non pas pour des raisons d’abomina-tion, mais pour des raisons morales. Effectivement, le terme d’abomination employé par la Torah, « toéva », n’est jamais employé à propos de la personne elle-même. La personne peut avoir ses tendances personnelles, et ça la Torah n’en juge pas. Elle ne dit pas « toéva hou », ce qui signifierait que l’homosexuel serait abominé, mais c’est l’acte lui-même, c’est la réalisation, la concrétisation de cette tendance qui est condamnée par la Torah – « toéva hi » – et non pas la personne elle-même. Cette distinction est importante car la Torah est consciente des détresses qui peuvent habiter chacun. La Torah n’intervient pas dans la coercition de la loi, comme vous savez très bien que les peines imposées par la Torah ne sont pas réalisables sur le plan juridique, mais elle porte un jugement moral qui entraîne des conséquences au niveau de la formalisation. On voit dans le Talmud qu’il est plus grave de formaliser la relation homosexuelle que de condamner la pratique elle-même. Autrement dit, la Torah ne s’introduira pas dans le domaine privé, mais elle refusera la concrétisation législative de cette relation. Je pense qu’il y a ici un apport intéressant à la pensée du couple, qui sera débattue par les prochains intervenants.