Rav Oury Cherki

L’ecoute

Paracha Vaet’hanane, Av 5765



Vaet’hanane nous invite a ecouter: "Lorsque vous entendires la Voix du sein de l’obscurite, alors que la montagne flambait dans le feu, vous vous approcherent de moi, chefs de vos tribus et vos anciens" (Devarim 5,20). Le discours de Moise au peuple avant leur separation contient en effet le rappel de l’experience collective de la revelation au Sinai. La description est terrifiante, et tout y semble suggerer une conception du monde qui exige l’annihilation de l’etre pour satisfaire la soif d’adhesion a la Divinite. Dans cette vision, la saintete est en fin de compte ennemie de la vie. Or c’est precisement la vision contraire qui s’est imposee aux enfants d’Israel: "Vous me dirent: ainsi l’Eternel notre Dieu nous a montre Sa gloire et Sa grandeur, et nous avons entendu Sa voix du sein du feu. Nous avons compris aujourd’hui que Dieu peut parler a l’homme et qu’il reste vivant"(5,21). La revelation a donc transforme l’opinion des enfants d’Israel. On peut dire que jusque la, les hebreux partageaient l’opinion commune aux mystiques, selon laquelle la mort serait preferable a la vie puisque c’est grace a elle que l’homme "voit Dieu". Mais a partir du Sinai la conclusion est: "S’il en est ainsi, pourquoi mourir?"(5,22). La mort devient inutile et la thora devient la sanctification de la vie. Alors que dans l’alternative "j’ai mis devant toi la vie et la mort" (30,19) le mystique choisit la mort, la Thora enjoint: "Tu choisiras la vie afin que tu vives toi et ta descendance".

Il semble que la divergence entre l’option de la prophetie hebraique et celle des autres spiritualites est liee a la nature de la revelation. La revelation est percue d’habitude comme une image. Or l’image, bien que porteuse de sagesse, ne transmet pas un discours, une volonte, de Celui de qui elle emane. Elle reste donc impersonelle et, de ce point de vue, exige un engloutissement de l’observateur dans l’image. Par contre la revelation sinaitique est la parole de quelqu’Un qui s’adresse a quelqu’un, et qui l’ecoute. L’existence reelle de l’interlocuteur est alors capitale: "preservez fortement votre etre, car vous n’avez vu aucune image le jour ou Dieu vous a parle" (4,15).

La deuxieme ecoute de la paracha est l’exhortation de Moise: "Ecoute Israel" (6,4). Cette adresse a la communaute d’Israel est au depart exclusive: "l’Eternel est notre Dieu". Rachi de commenter: "et non pas le Dieu des nations". Cette apparente atteinte au monotheisme dans le verset meme ou celui-ci est proclame, manifeste en verite le serieux de l’Idee de Dieu et son universalite. En effet si le Createur est percu comme l’interlocuteur de l’homme, cette perception ne peut etre qu’adaptee a la diversite des des identites humaines, et donc notre perception a nous les enfants d’Israel qui vivons a part de l’humanite, ne peut etre qu’exclusive. Et c’est precisement a partir de la conscience du respect du a la specificite des identites humaines, que la fraternite universelle devient possible: "l’Eternel est Un". A nouveau Rachi: "Il sera Un pour toutes les nations, comme le dit Tsefania (3,6): Je transformerai le langage de tous les peuples en un langage clair pour que tous invoquent le Nom de Dieu et le servent d’un meme accord",et "c’est en ce jour que Dieu sera Un et Un sera Son Nom" (Zekharia 14,9). La proclamation de l’Unite de Dieu n’est donc pas une profession de foi metaphysique, mais bien une volonte de transformation de l’homme dans l’histoire.