Rav Oury Cherki

La paix

Transcription de la leçon (pas encore vérifié par le Rav).



La paix

Chalom est le mot hébreu désignant la paix. C'est également le terme choisi par la langue hébraïque pour s'adresser à son prochain, dévoilant ainsi le message de paix que l'on attend de la rencontre avec l'autre.

Tout le monde veux la paix, mais quelle paix?

La paix a toujours été considérée par la tradition d'Israël comme étant le réceptacle de toutes les bénédictions, tel que l'ont dit nos sages (Michna Ouktsine 3,12) : "Dieu n'a pas trouvé de réceptacle de bénédiction plus grand pour Israël que la paix." Enfin, nos maîtres nous ont dévoilé que l'un des noms de Dieu était Chalom. Or malgré toute l'importance de ce concept pour Israël, son incompréhension est latente. Grammaticalement, le mot chalom est de la même racine que le mot chalem, entier. C'est que la paix passe nécessairement par le respect de l'intégralité de l'identité de l'autre, de son bien, de sa personne et de sa terre. Cependant, la paix ne peut pas toujours être en accord avec la vérité ou d'autres valeurs. Il est donc nécessaire qu'un équilibre des valeurs soit réalisé afin de réussir l'entreprise de la paix.

 

La paix n'est pas innée

Rien de plus naïf que l'affirmation que les hommes soient faits pour vivre en paix. Si la fraternité était une chose évidente, il n'y aurait certainement pas eu autant de conflits à travers l'histoire, de la préhistoire à nos jours. A l'heure actuelle où nous vivons de façon si sereine, des dizaines de conflits armés secouent la planète, conflits grandement alimentés par les nations dites "paisibles", les grandes nations de l'occident étant souvent à l'origine des conflits armés dans les régions lointaines, en vendant des armes et en entretenant des rivalités.

C'est pourquoi il est indispensable de considérer le problème de la paix de façon plus mature.

Analysons le message de la Thora au fil de la Genèse.

 

La fraternité dans la Genèse: échec et déception

D'emblée, la difficulté de la fraternité est exposée. L'apparition des deux premiers frères sur terre fut en effet la scène du premier assassinat de l'histoire. Caïn et Abel, deux frères qui sont, par définition, en rivalité sur le même destin et, par conséquent, capables d'en arriver au meurtre. Or la Thora présente une tentative d'ouverture du dialogue par Caïn "ויומר קין אל הבל אחיו – Caïn a tenté de parler à son frère Abel" (Gen. IV, 8). Mais ce dialogue n'a jamais eu lieu et cette frustration a dégénéré en violence physique. La violence est ainsi présentée comme un dialogue ayant débuté mais pas abouti.

Par la suite, la Thora présente le caractère de Lemekh essayant de parler avec ses femmes mais, à nouveau, ses femmes refusent de parler avec lui (Gen. IV, 23-4). Probablement parce qu'elles ressentaient une violence implicite dans son discours de fraternité ou d'amour.

 

Récapitulation des échecs en condition de laboratoire

C'est ainsi que la violence prend le dessus dans la première partie de la Bible qui se conclue par le déluge venant détruire la presque totalité de l'humanité. L'expérience de l'humanité doit recommencer, seulement cette fois en condition de laboratoire. La famille d'Abraham, famille fondatrice de l'identité d'Israël, va récapituler tous les échecs de l'humanité au sein de la famille pour faire réussir ce qui a jusqu'à présent échoué. Par exemple lorsqu'une dispute éclate entre les bergers de Lot et ceux d'Abraham, ce dernier déclare "ne nous disputons pas car nous sommes frères" (Gen. XIII, 8). Il sous-entend par là que du fait de leur fraternité, la plus petite dispute risque de se terminer en assassinat. La séparation est donc préférable. Cette solution de facilité ne fait que reporter le problème jusqu'à ce que, quelques générations plus tard, les descendants d'Abraham et de Lot se fassent la guerre. La solution doit donc être trouvée au sein même de la famille.

Le premier progrès apparaît à l'époque d'Isaac. A nouveau, celui-ci est en conflit avec son frère, Ismaël, or il est intéressant de constater qu'il n'existe entre eux aucun dialogue. Ce constat est valable à travers toute l'histoire puisque l'on n'a jamais assisté à un véritable dialogue entre l'islam et le judaïsme. Il y a certes eu une philosophie judéo-arabe, mais la science et la philosophie sont universels et non pas propres aux identités en place.

Arrive par la suite le couple des jumeaux, Jacob et Esaü, jumeaux véritables commençant leur rivalité au sein même de leur mère qui aboutit à nouveau par une tentative d'assassinat, de la part d'Esaü contre Jacob. Or, pour la première fois, l'on est témoins de l'intervention des parents. La mère en particulier, mais aussi le père, vont intervenir pour empêcher le meurtre, ce qui ne s'est pas passé à l'époque de Caïn et Abel.

 

12 frères pour la vie

Si c'est un progrès, l'on n'échappe toujours pas à une rivalité fratricide qui entraîne Jacob à s'exiler chez son oncle Laban. C'est là-bas qu'il va fonder une nouvelle famille, la famille des douze tribus d'Israël. Cette famille, composée de quatre épouses, va voir la naissance de quatre premiers-nés, ceux de Léa, Rachel, Bilha et Zilpa. L'histoire des premiers-nés révèle une tentative de surmonter la violence inhérente à la fraternité. Ruben, premier-né de Léa, est prédestiné à sauver son frère. En effet nous savons que Ruben va tenter de sauver Joseph lors de son conflit avec ses frères. Le progrès est de taille mais pas encore entier, car Ruben n'est prêt à sauver son frère qu'une fois celuici vivant. Dan, premier-né de Bilha la servante de Rachel, ne va, lui, naître que dans l'espoir que Rachel puisse elle aussi avoir un fils. C'est la première fois de l'histoire qu'un enfant naît pour donner naissance à son frère. Naît ensuite le premier-né de Zilpa, servante de Léa, qui va lui aussi naître pour donner un autre enfant à sa mère, Léa, qui avait déjà des enfants, progrès encore plus grand par sa générosité. Mais ces bontés sont encore faites à des frères d'une autre mère. Jusqu'au quatrième premier-né, Joseph, fils de Rachel, dont la signification même du nom signifie l'ajout, "que Dieu me donne un fils supplémentaire" disait sa mère. C'est la première naissance d'un premier-né dans l'espoir de donner naissance à un autre frère de sa même mère. C'est à ce moment que la supériorité morale de Jacob sur Esaü est flagrante. C'est cette supériorité qui permet à Jacob d'affronter à nouveau son frère Esaü et ainsi de rentrer en terre d'Israël. Tout n'est toutefois pas réglé. Au sein même de la famille va apparaître une rivalité entre Joseph et ses frères, particulièrement Juda.

 

Fraternité mise à l'épreuve

La rivalité est telle que la Torah raconte que les frères "n'arrivaient pas à lui parler de paix". Rachi, l'un des grands commentateurs de la Bible explique que là se trouve leur mérite, car ils n'ont pas essayé de cacher ce qu'ils avaient dans leur coeur. En effet, un conflit ne peut être réglé que si tout a été dit, que si la diversité des opinions qui a failli entraîner l'assassinat a été mise véritablement en évidence. Mais finalement, dans cette famille dans laquelle le conflit a été si violent, les frères ont réussi à faire la paix.

 

La paix peut réussir!

Ainsi, si la paix entre des frères voulant s'entretuer a été possible dans ce monde, cela vient nous enseigner qu'il existe un réceptacle de paix dans l'histoire. Nous avons dès lors l'assurance qu'à partir de ce noyau de paix qu'est Israël, l'histoire peut réussir. C'est la raison pour laquelle le livre de la Genèse, du commencement, s'arrête au moment où nous avons l'assurance que la paix entre les frères est véritable, permettant le commencement de l'histoire des hommes. Le livre de l'Exode nous conte en effet la formation du peuple d'Israël, porteur du message de paix pour l'humanité toute entière.

Malgré les erreurs sur la nature de la paix, malgré la longueur de l'histoire, nous sommes assurés que le projet de paix porté par Israël amènera finalement une réunion de tous les coeurs de l'humanité en un seul coeur, dans la connaissance du Créateur.