Rav Oury Cherki
Cela et moi
Paracha Toldot, Markhechvan 5782
La lecture des textes de la Torah par les maitres du Talmud est souvent surprenante et même déroutante pour qui ignore l'attention minutieuse des sages dans l'étude des versets. Dans la section de Toledot, ce sont des mots apparemment banals qui révèlent la profondeur des versets. Tout d'abord le mot "lo" qui veut dire "à lui". La torah nous raconte que notre mère Rivka étant stérile, son mari Itzhak et elle-même prièrent pour qu'un enfant leur soit accordé. "Et Dieu répondit "à lui" (lo) et Rivka fut enceinte" (25, 21). Pour les sages cela veut dire que le mérite de Itzhak était supérieur a celui de Rivka et que c'est pour cela que seule sa prière a été exaucée. La Torah continue (25, 22) : "les enfants s'agitèrent en son sein. Elle se dit : si c'est ainsi, pourquoi cela pour moi (zé anokhi) ?". Rachi, qui déclare ne commenter que selon le sens obvie, explique : ils se disputaient l'héritage des deux mondes". C'est que la phrase de Rivka est grammaticalement incorrecte, et donc qu'elle cache une intention secrète. En effet le mot "zé", que l'on traduit habituellement par "cela", est aussi un des noms de Dieu, en tant que maitre du monde terrestre "olam ha-zé". Alors que le mot "anokhi" – moi – est aussi le nom de Dieu en tant que maitre du monde céleste, qu'Il a employé lors de la révélation du Sinaï. Donc, Rivka qui ignore qu'elle porte des jumeaux, ressent qu'elle ne sait pas quel est le Dieu de l'enfant. Est-ce "Zé" ou "Anokhi". C'est pourquoi "elle alla interroger Dieu" (id.), c'est-à-dire, un prophète. La réponse règle le problème : il y a deux enfants, un qui est enclin à Zé et l'autre à Anokhi. A nouveau nous devons être attentif à la formulation du texte (25, 23) : "Dieu dit à elle (lah) : deux nations sont dans ton ventre, … le plus grand servira le plus jeune". Si le terme "lo" exclut Rivka, c'est donc que le terme "lah" exclue Itzhak. Cela veut dire que la solution donnée par le prophète était réservée a elle seule et qu'il lui était interdit de la communiquer à Itzhak. Nous pouvons alors comprendre pourquoi Rivka incite-t-elle Yaakov - le plus jeune - à s'emparer de la bénédiction réservée à l'aine, car c'était l'injonction prophétique, et aussi pourquoi elle ne pouvait pas parler directement de cela a son mari, ce qui l'a obligé d'employer la ruse pour réaliser son dessein. Tout se passe comme si la Providence avait tout organisé pour que Yaakov soit contraint de passer par une voie tortueuse pour faire réussir l'histoire. C'est en fait la capacité d'affronter la réalité du monde et ses difficultés qui est en jeu à travers les récits de nos patriarches.