Rav Oury Cherki

L’homme malade

Paracha Tazria-Metsora, Nissan 5766



La vie a des hauts et des bas. La santé n’est pas permanente. Il est important de discerner une dimension morale, là où seule la nature semble agir. Il est certes risqué, et même naïf, de chercher des correspondances immédiates entre telle maladie et tel état de moralité. Mais l’intuition monothéiste ne peut pas séparer absolument la morale de la nature. En fait, la maladie, la perte ou la baisse de vitalité, est en elle-même une chute morale aux d’une tradition qui considère que la vie est le Bien. Maïmonide affirme déjà dans le Guide des égarés que c’est de l’Etre dont il est dit que Dieu vit que c’était bon. Le retour à la santé est même considéré par le rav Kook comme la techouva du corps.

Un indice est donné par la Thora qui permet un certain jugement de valeur de l’état du corps, c’est l’impureté. Celle-ci est déclarée à chaque fois qu’il y a perte de vie, ou même perte du potentiel de vie, comme lors de la perte menstruelle. Notre paracha, Tazria-metsora, débute par l’impureté de la femme accouchée. Certes il n’y a pas là de culpabilité, bien au contraire, mais le fait que le corps de la femme, qui était porteur de vie, se trouve soudainement évacué de cette vie grâce à la naissance, entraîne l’impureté là où la vie était présente. Il est significatif que pour la naissance d’une fille le temps d’impureté est double: quatorze jours, au lieu de sept pour la naissance d’un garçon. C’est que la vitalité de la femme nouvelle-née, qui portera elle aussi la vie en son sein un jour, est double de celle de l’homme.

Bien différente est l’impureté inhérente à la lèpre biblique (dont les symptômes sont très différents de la maladie contemporaine du même nom). Les taches sur la peau du lépreux sont l’indice d’une détérioration de sa relation envers le monde extérieur, qui se traduit par une atteinte à la partie du corps qui établit le rapport avec l’extérieur. C’est donc qu’il y a un problème moral.

Il est intéressant de relever dans le détail des instructions données par la Thora pour le traitement de l’impureté de la lèpre, toute une gradation de la chute morale, à travers la terminologie employée par la Thora pour designer le phénomène. Au début l’homme est le sujet: "un homme qui aurait dans la peau de sa chair une tache…" (13,2). Ce n’est que lorsqu’il y a récidive dans le pêché, tsaraat nochénète, que l’homme cesse d’être le sujet pour devenir objet: "une plaie lépreuse qui toucherait un homme" (13,9). Puis, l’homme perd même son nom, pour n’être plus que chair: "une chair dont la peau serait atteinte" (13, 18 et 24). La dégradation est également marquée par le passage de la couleur blanche (13, 4 et 10), qui reste un signe de pureté éventuelle (13,13), au "blanc ou blanc mêlé de rouge" (13,18), puis au "blanc mêlé de rouge ou blanc" (13,24).

Toutes ces plaies ne touchent que la partie émotive de l’homme, adam, que l’imagination (dimyone) peut influencer. Le cas est plus grave lorsqu’il s’agit de la partie intellectuelle de l’homme, que le texte désigne par le doublet ich o icha. La plaie est alors désignée par le mot netek, qui signifie le détachement, touchant les cheveux de la tête ou de la barbe. Le danger de la vie intellectuelle consiste dans l’abstraction, détachée de la vie existentielle, qui à force de conceptualiser les valeurs, entraîne un abandon hitnatekout, des valeurs réelles.

La Thora laisse aussi envisager un aspect paradoxal de la lèpre, celle des habitations en Eretz-Israël. Il est en effet possible que la lèpre de la maison oblige la destruction de l’habitation, et que l’habitant se trouve privé de la maison qu’il avait soigneusement entretenu pendant des années. Mais les Sages ont décelé dans le texte de la Thora qui réglemente la lèpre des maisons, une forme grammaticale: vehaya, qui signifie l’espoir. Les habitations détruites cachaient des trésors enfouis par les anciens habitants de Canaan, que l’on découvre sous les décombres. Les destructions en Eretz-Israël sont parfois suivies de réparations.