Rav Oury Cherki

L’autre Unité

Paracha Balak, Tammuz 5766



Balak, roi de Moab, qui donne son nom a notre paracha, n’est pas un personnage mineur. Une lecture attentive du texte confirme la tradition kabbalistique, selon laquelle Balak est dépositaire d’une grande sagesse, celle des Bené Kédem, qui remonte au temps d’Abraham (cf. Beréchit 25,6) et qui était une des sources de la sagesse du roi Salomon (cf. I Rois 5,10: "La sagesse de Salomon croissait [vaterev] à partir de la sagesse des Bené Kédem et de toute la sagesse d’Egypte"). Lorsqu’il fait appel au prophète Balaam des "monts de Kédem" (Bamidbar 23,7), c’est à une connaissance de vieille date qu’il s’adresse. Le texte indique en effet que le lieu là ou réside Balaam est aussi le pays d’origine de Balak (22,5).

En quoi consiste cette sagesse? Le Talmud (Sanhédrin 91a) dit qu’il s’agit de la science des formules, chem toumea, c’est-à-dire la magie de la parole, utilisée par Balaam. L’emploi de la parole comme arme est particulièrement redoutable pour le peuple d’Israël dont la parole est la "spécialité". La différence est cependant importante. Alors que pour Israël la parole est un élément de la morale, la relation de personne à personne, pour les sages d’Orient elle est un outil mécanique, extérieur à la moralité, et qui peut donc être utilisé à des fins destructives, par un prophète immoral. La sagesse de Balak-Balaam s’instaure donc en rivalité avec celle des Hébreux. Le Zohar (I, 223a) met en garde contre l’investissement de la pensée dans la sagesse des extrême-orientaux (hokhmat Bené Kédem) justement à cause de la confusion qui risque de s’établir entre les deux sagesses.

Balak est nomme "ben Tsipor", ce qui peut signifier "qui comprends grâce aux oiseaux". Le Zohar (III, 184b) voit dans cette expression le contenu de la sagesse de Balak, représentée par un oiseau qui symbolise la capacité de la sagesse de voir les choses de haut, lequel est composé moitie d’or et moitié d’argent. Il y a la une imitation d’un principe fondamental de la morale hébraïque: l’unité des valeurs, la bonté (l’argent) et la rigueur (l’or) mêlées. La différence est cependant très grande entre les deux principes unificateurs. Pour Israël l’unité se réalise grâce à un troisième principe, la miséricorde, intermédiaire entre les deux extrêmes et qui devient Parole et Fécondité (berit lachone et berit ma’or), en un mot: la vie. Par contre l’oiseau de Balak est enveloppé d’ailes de cuivres. L’unité vient de l’extérieur, elle est superficielle et stérile. Le Zohar dit qu’à la place de la langue, l’oiseau portait dans sa bouche un ossement divinatoire (yidoa), caricature de la parole (daat). La similitude du symbole de l’oiseau avec le cercle Yin-Yang d’Extrême-Orient est d’ailleurs frappante.

Armé de son bagage métaphysique, Balaam, invité par Balak, veut maudire Israël. Il est confronté sur son chemin à l’ange protecteur d’Israël qui l’attaque à droite, à gauche et au milieu, pour figurer l’opposition entre les deux types d’unité, celle superficielle et inféconde des nations, et celle d’Israël qui réalise l’unité des contraires, tels Abraham et Itzhak qui unissent leurs vertus de générosité et de rigueur à travers Jacob, fondateur de la pérennité du devenir hébraïque. Il est frappant de constater la fascination que la fécondité d’Israël exerce sur Balaam, habitué à considérer la reproduction de l’espèce humaine comme étant trop terrestre pour être sainte, alors que pour Israël elle est le fondement de la sainteté. Il est donc poussé par sa vision à bénir Israël de trois bénédictions correspondant aux trois patriarches fondateurs de la triple identité d’Israël, suivies en apothéose d’un quatrième discours prophétique sur le rôle universel d’Israël lors de l’aboutissement de l’histoire.