Rav Oury Cherki


Ma liberté

Paracha Nitzavim, Eloul 5765



L’affirmation que l’homme est libre, veritablement et totalement libre, est certainement une des innovations les plus importantes que la Thora a verse en contribution au patrimoine de l’humanite. Cependant, la liberte n’est pas toujours vecue comme un bienfait de la Providence. Emmanuel Levinas remarquait que la liberte est difficile a vivre. En effet, elle a pour consequence immediate d’imposer la responsabilite. Si mes actes ne dependent que de moi, je suis l’unique auteur du bien et du mal que je fais. La faute m’incombe totalement, ce qui est terrible. La consolation que consiste le fait que mes bonnes actions sont egalement totalement miennes est insuffisante car "une une bonne action n’éteint pas une mauvaise action" dit le Talmud. On comprends donc pourquoi nombreux sont ceux qui tentent de la nier. On appelle "circonstances attenuantes" les donnees exterieures au sein desquelles s’opere notre choix, alors qu’elles sont l’enjeu de notre liberte.

Notre paracha, Nitsavim, est tres claire sur ce point: "J’ai donne devant toi la vie et la mort, la benediction et la malediction, tu choisiras la vie" (30,19). Mais c’est notre paracha aussi qui donne la note optimiste de la liberte: la Techouva, le retour. En effet, si la volonte de l’homme est totalement libre de choisir le mal, elle n’est donc pas determinee, ni avant l’action ni apres. Le repentir est donc possible, "le deracinement de la volonte equivaut au deracinement de l’acte" dit le Ram’hal (Messilat Yecharim chap. 4). Il y a la une innovation importante dans cette idee que la volonte est dans sa racine au dela du temps, puisqu’elle peut annuler des actes voulus dans le passe. La volonte de l’homme serait ainsi similaire a celle du Createur.

Or, c’est precisement la que le danger est grand pour l’homme conscient de son autonomie, de se considerer comme l’equivalent du Createur et d’interpreter la Loi de Dieu comme bon lui semble. Cette tentation qui a son origine dans le recit du premier homme cedant a l’argument: "vous serez comme Dieu, vous qui distinguez le Bien du Mal" (Berechit 3,5), se retrouve comme une constante dans l’histoire d’Israel a travers les heresies issues de la tradition orale elle-meme. Depuis Kora’h, qui est pret a tout accepter de la tradition sauf qu’elle est revelee, a travers le sadduceisme et le caraisme qui la nient, jusqu’a des formes plus subtiles de negation de la revelation, camouflee par l’emploi de la phraseologie rabbinique traditionelle, qu’on retrouve dans le mouvement "conservative". Cette maniere de "cacher son jeu" est denoncee dans notre paracha: "De crainte qu’il n’y ait parmis vous une racine de fruits venereux et amers…qui se conforterait dans son coeur en se disant: je serais en paix lorsque je me fierais a ma liberte" (29,17-18). Le texte ne vise probablement pas celui qui est simplement attire par son mauvais penchant, ce serait une banalite. Il y a la plutot une mise en garde contre l’ivresse que la liberte donne a l’homme, surtout lorsque l’on connait la capacite qu’on les Sages d’influer la fixation de la regle. La liberte ne justifie pas l’orgueil.