Rav Oury Cherki


Le livre des paroles

Paracha Devarim, Av 5765



Devarim est le livre de la Thora bien ordonnee. En effet, une des regles du debat talmudique est que le sens d’un verset doit etre deduit de son contexte, donc du verset qui le precede ou qui le suit. On suppose donc que l’ordre des versets de la Thora, meme lorsque ceux-ci traitent de sujets differents, a un sens susceptible d’etre traduit en regle de halakha. Cette regle, appelee semoukhin, n’est pas universellement admise. Rabbi Yehouda ne l’admet que pour le livre de Devarim qu’ouvre notre paracha (cf. Yevamoth 4a & notes de Maharab Rensburg). C’est donc que notre livre presente la Thora sous sa forme achevee, "prete a l’utilisation". Or, une lecture attentive de Devarim fait ressortir l’evidence que la Thora est la constitution politique des Hebreux sur leur terre: "Vois, je t’ai enseigne des preceptes et des lois, afin de les accomplir sur la terre que Dieu te donne" (Devarim 4,25).

Il est donc dans la logique de cette idee, que les remontrances adressees par Moise au peuple se concentrent sur la faute des explorateurs, qui est le refus du peuple de prendre possession d’Eretz-Israel a cause de la peur qu’inspire les cananeens.

Il est interressant de comparer le recit de la faute des explorateurs tel qu’il est presente dans notre paracha avec le meme recit dans la paracha de chela’h lekha. Dans le recit originel, celui de chela’h lekha, la reponse aux inquietudes du peuple est donnee par Kalev et Yehochoua sans qu’il y soit question de la reaction de Moise, alors que dans le recit que Moise lui-meme en donne dans Devarim, son discours apparait sans qu’il soit fait mention de celui de Kalev et Yehochoua. Il semble donc que bien que les deux discours aient eu lieu, la Thora a voulu eviter que la lecture immediate du texte ammene a comparer les deux discours. En effet, l’argumentation de Moise met en evidence son inaptitude ontologique a entrer en Eretz-Israel. Alors que Kalev et Yehochoua invitent au courage face a l’ennemi sans pour autant esperer de miracle surnaturel "montons a la conquete, car nous en sommes capables" (Bamidbar 13,30), Moise se resigne a la faiblesse du peuple et lui propose une guerre miraculeuse:"Je vous repondis: ne soyez ni appeures ni ebranles par eux. L’eternel votre Dieu guerroiera pour vous...comme il l’a fait pour vous en Egypte a vos yeux (Devarim 1,29-30). Le miracle est en effet la "specialite" de Moise pendant tout le temps de la traversee du desert. Or c’est precisement la capacite de se comporter en accord avec les lois de la Nature qui est requise pour la vie d’Eretz-Israel. La reaction de Dieu est fulgurante de clarte: "Dieu entendit leson de vos paroles. Il s’emporta et jura en ces termes: aucun de ces hommes, cette mauvaise generation, ne verra la terre… sinon Kalev ben Yephoune…car lui a ete fidele a Dieu. Contre moi aussi Dieu s’est courrouce, me disant: toi non plus tu n’y entreras pas. Yehouchoua qui se tient a tes cotes, lui entrera la-bas, renforce-le, car lui en donnera la possession a Israel" (1,34-38). Il est donc evident qu’ici la Thora a revele la raison veritable de l’empechement de Moise d’entrer en Eretz-Israel. Sa reference permanente au miracle, qui est la norme de comportement digne de la grandeur de Moise, empeche l’etablissement d’une cite veritablement terrestre, ou le Visage de Dieu se manifesterait a travers la Nature. L’episode des eaux de Meriva, ou Moise avait frappe le rocher au lieu de parler, n’etait en fait qu’une illustration de cet handicap. Le fait de frapper, figurant la tentation d’imposer son autorite par la force, serait-ce meme la force du miracle, alors que la parole suppose le dialogue avec les voies naturelles.

Dans un ordre d’idees similaire, il y aurait la un enseignement pour le dirigeant d’Israel, pour qui il est indigne d’imposer son opinion par la contrainte.