Hanoukka - Interview avec Rav Oury Cherki, 5781
Actualité Juive, Kislev 5781
Q.: Cette année, on célèbre la fête de 'Hanouka alors que le Covid est toujours là. En Israël, comme en France, la fête ne pourra pas se dérouler comme d'habitude. Comment fait-on pour la maintenir dans ce contexte particulier ?
R.: Paradoxalement, on renoue avec une tradition déjà mentionnée dans les sources talmudiques. Il y a eu des époques où les lumières de 'Hanouka ne pouvaient pas être allumées à l'extérieur à cause des décrets des zoroastriens en Perse. Il était alors interdit d'allumer du feu à l'extérieur lors de leur fête qui tombait souvent à 'Hanouka. C'est là qu'a été instituée cette idée que l'on puisse également, en cas de nécessité, allumer à l'intérieur. Ce qui a d'ailleurs été repris par la suite par différents décisionnaires de la Halakha. Le confinement actuel n'est donc pas étranger à 'Hanouka. Il y a des moments où la Lumière d'Israël rayonne vers l'intérieur plutôt que vers l'extérieur. Et c'est probablement une des leçons que nous avons à tirer de l'épidémie de Covid en général, ce phénomène universel qui a ramené presque toute l'humanité à se confiner dans son propre domaine. Au lieu de voir seulement la dimension tragique de la chose, on peut s'en servir comme levier de retour à l'intériorité. C'est très important. On peut dire aussi que la révolte des Asmonéens a été justement une révolte contre cette idée d'uniformité, de conformisme absolu que voulait imposer la civilisation hellénistique. Il y a là quelque chose qui a un rapport direct avec 'Hanouka.
Q.: Mais il manque pourtant une dimension spécifique à la fête ?
R.: Oui. C'est ce que l'on appelle le Pirsoume Nissa, la publication du miracle au grand public, à l'extérieur. Mais c'est lorsqu'on est empêché de faire quelque chose, que l'aspiration prend la place de la réalisation. Le peuple juif a toujours des systèmes qui lui permettent de survivre à ce genre de vicissitudes.
Q.: Ces moyens vont donc réduire l'aspect social, familial, de la fête ?
R.: Du point de vue de la règle originelle, on ne fait pas des réunions de plusieurs familles autour d'un allumage. Chacun doit allumer dans sa maison, et après on peut se réunir autour des beignets ou de la toupie. Je ne sais pas comment on peut manger des beignets par Zoom, mais on peut peut-être donner une autre dimension. Par exemple, une étude commune, une réunion fraternelle par vidéo. Les progrès de la technologie sont absolument extraordinaires. Ils ont permis de surmonter les barrières physiques et de se rencontrer par l'intention. Je pense que c'est encore une leçon à tirer de 'Hanouka, telle que nous le vivons aujourd'hui.
Q.: Vous évoquez un retour vers l'intériorité qui serait bon à prendre. Mais on ne peut faire totalement abstraction du domaine public. Il a une dimension qui existe dans le judaïsme.
R.: On peut même dire que c'est la dimension fondamentale. C'est Israël en tant que nation, en tant que collectivité, qui agit dans l'histoire et non en tant qu'individu, c'est évident. Le souvenir de la restauration de l'indépendance politique des Hébreux dans l'Antiquité par les Asmonéens nous concerne directement. Or, la dimension publique du judaïsme aujourd'hui, c'est celle qui se vit au niveau collectif dans l'État d'Israël. On peut dire que c'est cette aspiration collective qui nous amène à retrouver notre racine nationale, oubliée pendant deux mille ans d'exil. Aujourd'hui, le rayonnement d'Israël, l'allumage de la Lumière d'Israël se fait à partir de Jérusalem. Pour le monde entier.
Propos recueillis par Pascale Zonszain