Interview du rav Cherki aux noachides

Iyar 5782



Quel chemin vous a conduit à créer le Centre noachide mondial il y a une quinzaine d’années ?

J’ai toujours été concerné par la dimension universelle du judaïsme et j’ai considéré à un moment de mon existence qu’il était nécessaire et urgent de transmettre ces enseignements universels. Tout d’abord parce qu’il y a une méprise fondamentale sur le sujet. Dans la mouvance notamment de Henri Bergson on a souvent pensé que le christianisme était universel tandis que le judaïsme était replié sur la nation d’Israël alors qu’en fait c’est exactement le contraire. Les prophètes d’Israël s’adressent à l’humanité toute entière, ils ont un message pour l’humanité – le peuple « élu » est élu car il a une mission - alors que dans la chrétienté « hors de l’Eglise point de Salut ». Cette méprise est très nocive, aussi bien pour les Juifs que pour les non-Juifs. En effet, alors qu’Israël est aujourd’hui dans une phase de son histoire qui l’appelle à transmettre un message aux nations, il est souvent mal vu car incompris. Et les Juifs eux-mêmes ont peut-être oublié que l’élection d’Abraham impliquait de devenir une bénédiction pour toutes les familles de la terre.

Il y a aujourd’hui un conflit qui traverse la société israélienne entre la droite et la gauche que l’on peut résumer caricaturalement autour de la question de savoir ce qui est important – Israël ou les nations ? Mais en vérité la tradition juive a toujours parlé d’un tout : Israël et le cœur et les nations sont l’organisme comme l’affirmait Yehouda Halevy dans le Kuzari. Un cœur sans organisme ne sert à rien et inversement. Notre idée est donc aussi de tenter de réconcilier la droite et la gauche israéliennes, le nationalisme et le cosmopolitisme. J’ajouterais que ceci s’inscrit pleinement dans l’aventure sioniste : le sionisme représente un accomplissement des paroles des prophètes et ces derniers ont évoqué le fait que le retour d’Israël impliquait une sanctification du nom de D.ieu aux yeux des nations.

Très concrètement, qu’est-ce que ce statut de Ben Noah ?

« Je ne croirai jamais avoir bien entendu les raisons des Juifs qu'ils n'aient un Etat libre, des écoles, des universités où ils puissent parler et disputer sans risque », écrivait Jean-Jacques Rousseau dans l’Émile. Ce que nous avons justement à dire c’est qu’il y a un appel du Créateur à l’ensemble de ses enfants, à Le connaître, à Le servir, à entretenir un dialogue avec Lui. Ce dialogue passe par le canal de la nation d’Israël qui a été fidèle à cette parole pendant des milliers d’années. Juridiquement, le Ben Noah est un statut, formulé par la loi juive. Il s’adresse au non-Juif qui croit en la validité de la Torah et qui souhaite savoir ce que la Torah attend de lui, au niveau individuel et collectif. Cela implique les sept lois noachides fondamentales, qui sont assez proches de la morale naturelle mais qui sont la base de beaucoup plus de choses permettant au Ben Noah d’acquérir des comportements inspirés de la Torah qui conviennent à son identité personnelle et collective. C’est la raison pour laquelle nous avons écrit, en hébreu, un Choulkhan Aroukh destiné aux non-Juifs qui a déjà été traduit une quinzaine de langues. J’ai effectué un travail juridique très poussé avec l’aide d’autres érudits et reçu le soutien de personnalités rabbiniques de premier plan et de toutes mouvances. C’est important de mentionner que ce que nous faisons se situe dans la tradition de l’orthodoxie juive.

Qu’est-ce qui différencie ces sept lois de la morale universelle ?

La morale universelle a pour but de faire de l’homme un être moral et c’est tout à fait estimable. Mais les commandements noachides ont également la faculté de rattacher celui qui les observe au Créateur du monde. C’est donc un retour à la transcendance et au canal de la Révélation. Pour devenir officiellement un Ben Noah, il faut suivre une procédure, se présenter devant trois rabbins et s’engager à respecter les sept commandements. Ces cérémonies, que nous organisons environ une fois par mois (pour ce qui est des francophones mais d’autres cérémonies sont organisées par groupes de langues), sont des moments très émouvants. Signalons que dans certains endroits (au Congo ou au Québec par exemple) des noachides créent également des communautés qui se retrouvent pour prier ou étudier ensemble. Dans certains cas on s’oriente même vers la création de tribunaux noachides.

Vous affirmez dès l’introduction de votre « Brit Shalom » que le noachisme est compatible avec toutes les identités, cultures et civilisations. Mais n’y a-t-il pas un fonds religieux derrière toutes les civilisations qui pourrait être poser un problème ?

Les civilisations ont en effet développé des sensibilités religieuses particulières. Ces sensibilités font partie de l’identité des nations et il n’est pas question de les détruire. Ce dont il s’agit c’est de leur donner un supplément d’âme, de les rattacher à leur source et de les débarrasser parfois de certains éléments de paganisme qui s’y sont associés. Le bouddhisme par exemple pourrait être compatible avec le noachisme en se débarrassant de ses éléments païens. De même, s’il n’est pas possible d’être noachide tout en souscrivant au dogme chrétien, on peut conserver la sensibilité religieuse formée par le christianisme et l’orienter vers la Torah d’Israël. Il faut bien sûr éviter le paternalisme mais il faut aussi dire avec sincérité à ceux qui le souhaitent ce qui doit être réparé.

Vous souhaitez un dialogue avec toutes les cultures du monde. Êtes-vous optimiste pour l’avenir ?

Tout à fait. D’abord parce que la Torah nous enseigne l’optimisme : le monde est dirigé par la Providence donc les choses ne peuvent pas s’orienter vers le chaos même si le monde passe bien entendu par des hauts et des bas. Par ailleurs nous vivons le temps du retour d’Israël à sa terre et donc de la reprise de sa place dans la centralité de la Lumière. On peut être hostile à Israël ou ami d’Israël mais on ne peut pas être indifférent. Enfin nous assistons aujourd’hui à un retour à la sensibilité spirituelle. La recherche d’un sens à la vie est une chose partagée par tous les enfants du Créateur du monde. Il y a une diffusion assez remarquable du noachisme sur tous les continents. Quelque chose est en train de bouger dans la conscience universelle…

Vous avez aussi réalisé « Brit Olam », un livre de prières pour les noachides.

Ce livre contient en fait deux rituels, un court et un long. Dans le court nous donnons simplement aux Bné Noah des recommandations sur la façon de s’adresser au Créateur et chacun peut s’en inspirer comme il le souhaite. Mais de nombreux noachides souhaitent aussi suivre les offices avec des juifs dans les synagogues, même s’ils ne peuvent pas monter à la Torah. Ils aimeraient suivre les offices : le second rituel leur propose donc une version de la prière juive adaptée à leurs identités.

Pourriez-vous dire un mot du cinquième commandement noahide, relatif aux interdits sexuels ?

La sexualité n’est nullement démonisée dans la morale d’Israël. Mais elle est liée à la vie : quand on a reçu la vie on n’est appelé à la donner. Je distingue dans le livre ce qui est strictement interdit – les relations incestueuses ou adultérines – et des comportements recommandés : la modestie dans le vêtement et l’attitude, l’éloignement de la débauche même non-incestueuses, etc. Contrairement à ce qui se passe dans le Choulkhan Aroukh juif où les lois sont généralement normatives, ici les recommandations jouent un rôle central. L’ouvrage se termine par une recommandation sur la paix. Car finalement c’est la paix qui est le réceptacle de toutes les bénédictions. Toute la Torah a pour finalité la révélation de la présence de Dieu parmi ses créatures et cela n’est possible que s’il y a la paix entre les créatures.

Que souhaiteriez-vous dire pour finir à nos lecteurs non-Juifs ?

Les interrogations finales de la vie concernent tous les hommes. Et il n’est pas inutile de se rappeler que c’est à travers le message de la Bible (pas exclusivement mais largement) que l’humanité a beaucoup évolué. J’encouragerais toute personne sincère et intéressé à améliorer sa vie personnelle et la vie du monde à s’intéresser à ce que le judaïsme a à lui dire.