Interview avec le rav Oury Cherki

Le P'tit Hebdo, Sivan 5777




Le P’tit Hebdo: La Torah nous a été donnée sur le Mont Sinaï, qui ne se situe pas en Israël. Pourquoi si le lien à la terre est aussi important, ne l’avons-nous pas reçue au cœur d’Eretz Israël?

Rav Oury Cherki: Il convient de mettre un peu d’ordre. Le Mont Sinaï n’est pas en terre de Canaan mais selon certains décisionnaires, dont Rabbi Yéhouda Halevy, il est bien en Eretz Israël.

En fait, la Torah est au-delà de la Création. Pour cette raison elle a été donnée dans le désert, ce qui ne contredit en rien le lieu où elle doit être appliquée: en terre d’Israël.

Lph: Il est souvent argué du fait que sans la terre d’Israël, pendant 2000 ans, le peuple juif a su rester un peuple. Finalement ce serait la Torah que nous avons gardée qui nous définirait et non son application en Terre d’Israël.

Rav O.C.: Ce n’est pas la Torah qui définit le peuple. La preuve c’est que nous en étions déjà un lorsque nous l’avons reçue. Nous sommes d’abord le peuple d’Avraham, d’Itshak et de Yaacov avant d’être celui de Moshé. Lors de l’épreuve du veau d’or, c’est d’ailleurs le mérite des Patriarches que Moshé a rappelé. Puis il a préféré briser les Tables de la Loi plutôt que le Peuple. Le peuple était antérieur à la Torah.

Lph: Pourtant de Grands Sages ont vécu en dehors d’Israël et le peuple juif se maintient encore aujourd’hui en dehors. En quoi la Torah d’Israël ne se vit-elle qu’en Eretz Israël?

Rav O.C.: Oui, il y a eu de Grands Sages en dehors d’Israël, mais eux-mêmes savaient et affirmaient que leur production n’était qu’une petite lumière. Pour se dévoiler et être grande cette lumière doit être sur la Terre d’Israël. C’est également ce que mentionne le Talmud. La Galout est une obscurité de laquelle certains sont parvenus à faire briller une petite flamme mais la vraie lumière avait disparue. La Torah était en léthargie en exil, malgré les apparences. La Torah est la législation du peuple juif sur sa terre.

Lph: Au mont Sinaï, nous étions un seul peuple et un seul cœur. Cette unité entre Juifs semble plus fragile en Israël qu’elle ne l’était ou ne l’est encore en dehors. Cela vous parait-il exact?

Rav O.C.: Les Juifs en Galout sont des liquides qui se mélangent entre eux facilement. En Israël, ils sont des solides. Cela s’explique par le fait qu’en exil, tout n’est que théorie. Ici, nous vivons en pratique et l’importance des enjeux que cela implique crée forcément des tensions. C’est parce qu’en Israël la Torah redevient vivante que nous constatons ces tensions. Elles sont liées aux différentes expériences que chacun amène avec soi et aux aptitudes de chaque partie du peuple qui se confrontent. Mais c’est toujours pour mieux se retrouver ensuite.

Lph: Est-ce aussi parce qu’en Israël nous ne nous sentons plus menacés en tant que Juif et du coup on se relâche? Ce qui fait aussi dire à certains que vivre la Torah en Eretz Israël présente aussi le risque de s’en éloigner. Comprenez-vous ces affirmations?

Rav O.C.: Ces affirmations reflètent la grandeur d’Eretz Israël. En dehors d’Israël si on se relâche, on s’assimile, on disparait. En Israël, on reste Juif, malgré tout. Nous vivons l’effronterie des Temps Messianiques rapportée par le Talmud. Ce processus historique dont nous sommes les acteurs peut comporter des aspects moins bons, mais la techouva qui s’en suivra ne sera que plus grande puisqu’elle revêtira une notion collective, absente en dehors d’Israël.

Lph: La Torah d’Israël, la Terre d’Israël, le Peuple d’Israël: un slogan ou une réalité?

Rav O.C.: Ce sont les trois manifestations d’une même idée. Israël se manifeste à travers la Nation (le peuple), l’âme (la Torah) et le cadre c’est-à-dire la Terre d’Israël qui n’est pas qu’un simple territoire, il doit s’agir d’un véritable Etat. Pour nos Sages, la gueoula est une indépendance politique, non pas spirituelle. La gueoula a commencé avec l’Indépendance de l’Etat d’Israël en 1948. Nous agissons maintenant pour achever cette Délivrance et atteindre la gueoula chlema, la Délivrance totale dans la réunion des trois aspects énoncés plus haut.