Rav Oury Cherki
Entretien autour du miracle
Kislev 5785
Comment le judaïsme définit-il le miracle ?
Dans la vision juive, la nature suit des lois établies à l'avance, et le miracle représente une rupture de cet ordre naturel. Cette idée, qui défie la rationalité, heurte souvent la conscience philosophique. C'est pourquoi certains cherchent à l'intégrer dans le cadre des lois naturelles. Cependant, le Maharal de Prague clarifie ce point : cette réticence découle d'un malentendu car il existe l’"ordre des miracles" - Seder Hanissim - signifiant que le miracle obéit à une logique interne qui est parallèle à l’ordre naturel. Chaque récit d’intervention miraculeuse de la Providence doit être replacé dans son contexte pour comprendre les raisons de sa survenue. Le miracle repose toujours, d’une certaine manière, sur un substrat naturel. Prenons Hanoucca : le candélabre n’a pas commencé à illuminer par lui-même, il fallait de l'huile. Cela illustre une progression entre la dimension naturelle et la dimension surnaturelle.
Le miracle est-il toujours une irruption divine ?
Pas nécessairement, mais possible. On distingue deux types de miracles : ceux qui s'inscrivent dans l'ordre naturel et ceux qui brisent cet ordre. Et point important, le miracle n'affecte que ceux qui en sont les destinataires. Par exemple, Josué arrête la route du soleil pour les Hébreux le temps qu’ils remportent la victoire sur Gabaon, mais pas pour les Cananéens. Autrement dit, les Hébreux ont atteint un état de conscience dans lequel ils perçoivent le soleil immobile dans le ciel, tandis que l'ordre naturel a continué sans interruption pour les autres.
Peut-il être purement naturel ?
Sans aucun doute. C'est ce que l'on appelle parfois le miracle à travers la nature. Un exemple en est la fondation de l'État d'Israël, qui est considérée, par la Halakha, comme un miracle, bien qu'il n'ait pas impliqué de changement dans l'ordre naturel.
Certains sages avertissent que celui qui s'appuie sur les miracles verra sa foi déçue. Pourquoi cette mise en garde ?
Le Talmud nous conseille de ne pas prier pour obtenir des miracles, car soit le miracle n'aura pas lieu, soit, s'il se réalise, il nous prive du mérite qui nous est réservé pour le monde à venir.
La notion de miracle est-elle pertinente dans une société moderne plus sceptique envers le surnaturel ?
Le fait que la délivrance d'Israël aujourd'hui se fasse sans miracles surnaturels est un signe positif. Cela indique une réconciliation entre l'histoire d'Israël et le monde de la nature. En effet, lors de la sortie d'Égypte, la nature avait dû être rompue et mise à l'écart. Aujourd'hui, elle participe au projet historique, ce qui, d'un certain point de vue, est un avantage.
Propos recueillis par Nathalie Sosna-Ofir