Rav Oury Cherki

La puissance de mon bras

Paracha Ekev, Av 5765



Faut-il pieusement tout attribuer a Dieu, ou bien se reconnaitre la gloire de ses propres efforts?

Presenter ainsi la question suppose une dualite au sein meme de l’homme, oblige de choisir entre la conscience orgueilleuse de son existence et la nullite decouragente de ses efforts face un Maitre Tout-Puissant.

Notre paracha, Ekev, offre la solution de ce probleme, pour peu qu’on se donne la peine d’une lecture attentive. Le verset "tu diras en ton coeur: c’est ma force et la puissance de mon bras qui m’a fait cette reussite" (8,17) est-il pejoratif? Doit-on au contraire le prendre comme une injonction, un encouragement? Il faut pour cela etudier le contexte ou apparait ce verset. Il s’agit du commandement des actions de grace apres le repas, la "birkat hamazone", que la Thora lie a l’installation en Eretz-Israel: "Car l’Eternel ton Dieu t’amene vers un bon pays, un pays de rivieres, de sources et d’eaux souterraines dans la plaine et la montagne, un pays de ble et d’orge, de vigne de figue et de grenade, un pays d’olive a huile et de miel…tu mangeras et seras rassasie, et tu rendras grace a l’Eternel ton Dieu pour le bon pays qu’Il t’a donne" (8,7-10). "Tu rendras grace" est une mitzva, "tu mangeras et seras rassasie" en est-il une? Rien dans la syntaxe biblique ne permet de distinguer entre un commandement et un simple futur. C’est les versets 12-14 qui permet de trancher: "De crainte que tu ne manges a sassiete…ton coeur se gonfleras et tu oublieras l’Eternel ton Dieu". Donc, manger et se rassasier n’est ni bon ni mauvais, ce n’est qu’un moyen, et tout depend de la consequence: l’orgueil ou la gratitude. De meme l’affirmation: "c’est ma force et la puissance de mon bras qui m’a fait reussir" (verset 17), exprime une verite qui sera jugee par sa consequence, qui est: "Tu te souviendras de l’Eternel ton Dieu, qui est Celui qui te donne la force de reussir". La fierte de la reussite n’est donc pas en rivalite avec la reconnaissance de l’action du Createur, elle est au contraire, une collaboration.

A nouveau c’est le detail du texte qui renforce le message. Le verset aurait du dire: c’est ma force et la puissance de mon bras qui m’ont fait reussir". Or, c’est le singulier qui est employe a la place du pluriel: "qui m’a fait reussir". Cela semble vouloir dire que c’est un singulier, Dieu, qui est porteur des deux attributs, de la force et la puissance.

C’est dans cet ordre d’idees qu’il faut interpreter le recit donne par Moise dans la paracha, de la brisure des tables de la Loi et leur remplacement par les deuxiemes tables (chapitre 10). En effet, les premieres tables etaient l’oeuvre exclusive de Dieu, et representaient une Thora inaccessible a l’homme. Les deuxiemes, faconnees par les mains de Moise et gravees par Dieu, expriment la necessite de la participation de celui qui recoit la parole, a l’elaboration de celle-ci. Alors que dans le mythe grec la dimension prometheenne est une victoire des mortels contre les dieux, qui d’ailleurs s’en vengent, la prophetie hebraique presente ce qu’on peut appeler la sympathie du Createur pour sa creature, exprimee dans le Midrache qui montre Dieu offrant des sylex au premier homme, pour qu’il produise le premier feu.

Le message qui ressort de notre paracha est donc un refus de la passivite dans l’histoire, et l’engagement dans l’aventure humaine.